Aristide BARRE
Magloire Aristide BARRE : dit Bullorr, et qui signera Aristide Barré, naît à Trappes le 23 octobre 1840 de Denis Barré, charron qui deviendra garde-champêtre et de Marie Adelaïde Montron, blanchisseuse, domiciliés rue de l’Etang (aujourd’hui rue Magloire Aristide Barré). Il est le 3ème enfant d’une fratrie de 7 enfants, quatre garçons dont un décédé en bas âge et un autre mort à l’âge de 18 ans à Trappes, également ciseleur, et trois filles. Il travaille chez un maître armurier de Paris, s’installe, et il se marie avec Clémence Adelaïde Gauchez.
Quand éclate la commune de Paris en mars 1871, il a 31 ans ; il est nommé chef de la permanence de la préfecture de police, puis secrétaire de Raoul Rigault et chef du personnel à la préfecture de police. Il est également membre de la commission des monnaies.
Lors de la semaine sanglante (semaine qui voit la répression par l’Armée d’environ 40.000 Parisiens du 21 au 28 mai), il réussit à s’enfuir avec son épouse et va d’abord à Londres. Il adhère à la Section parisienne de l’Internationale en 1872. A Londres, il s’implique dans « l’école des réfugiés », où il enseigne la géographie. Il travaille alors pour la maison Purdey, fournisseur de la famille royale d’Angleterre.
Il est condamné par contumace à la déportation dans une enceinte fortifiée.
Recommandé par la fille de Karl Marx, il parvient à exercer son métier et son travail est tellement apprécié qu’il finira par être redemandé après son amnistie.
Mais il part à Vienne (Autriche), où il se cache sous le pseudonyme du Pauvre, mais il est démasqué et il est expulsé comme membre de la Commune.
Il revient à Londres mais croit pouvoir trouver du travail à Bruxelles (il raconte sa traversée de la Mer du Nord en 1873, dans un courrier adressé à Maxime Vuillaume, journaliste communard qui le publie dans ses « cahiers rouges ») ; finalement Barré arrivera bien à Bruxelles, puis à Cologne et à Nuremberg et retournera à Vienne où il travaille pour Klinkosch, orfèvre fournisseur de la cour impériale d’Autriche.
(1) « Puisque vos finances sont à sec, me dit un ami, allez donc aux docks, vous y trouverez un navire qui assure le service de Londres à Anvers. Il vous transportera pour un prix dérisoire. En effet, il me fut demandé, pour le voyage, 10 shillings (12fr.50) pour ma femme et moi. C’était donc une faveur inestimable. Hélas, ce bateau était rempli de bois et d’essence qui exhalaient des odeurs déconcertantes. Albert Leduc était venu assister à notre départ qu’il appelait un suicide. Sur ce navire, jamais aucun voyageur ne s’était aventuré. Il était long et étroit et peu apte à subir l’assaut des lames qui, lorsque nous eûmes dépassé Woolich, devinrent violentes et dures et faisaient danser le vieux bateau comme s’il eût été atteint de délire et de folie. Ce fut un voyage atroce. Ma femme et moi étions seuls dans cette petite salle étroite, ballottés par le tangage que l’état de la mer rendait douloureux. Par instant, le bateau faisait des culbutes inquiétantes ; mais nous étions résignés à notre sort. A un moment, je n’y tins plus, la respiration me manquait dans cette atmosphère viciée et, comme un individu qui guette sa proie, je visais la porte pour monter sur le pont, quand, tout-à-coup je fus projeté avec une violence inouïe contre un meuble chargé de linge et d’ustensiles. Ceux qui ont vu des clowns traversant des cerceaux en papier se rendront compte de ma culbute improvisée : tout me dégringolait sur la tête ; je restai pantelant, anéanti, sur le parquet. Enfin je pus saisir la porte et tentai de l’ouvrir, mais une vague me frappa au visage m’inondant tout entier. Ce fut ainsi pendant de longues heures. Le destin qui veillait probablement sur nos deux existences, nous permit enfin d’entrer dans le port d’Anvers, où nous échouâmes comme deux épaves, loques tremblantes et épuisées. »
Le 30 juin 1878 le journal « la Lanterne » lui consacre un article dont voici un extrait :
« En 1874, tous les réfugiés établis à Vienne furent expulsés. Mais en 1876, la maison Klinkosch, ayant besoin d’un ouvrier exceptionnel pour ses travaux de l’exposition de Paris, appela Barré. Il revint à Vienne et cisela le grand bouclier d’argent déjà acheté par le gouvernement et qui figure à l’exposition. Après plus d’un an de séjour à Vienne, Barré vint à Londres, cisela pour la maison Purdey, d’Oxford Street. (Il s’agit de l’exposition universelle de 1878 qui se tenait à Paris et où tous les pays font des expositions. NDLR)
Voilà donc dans l’exposition autrichienne et dans l’exposition anglaise des œuvres qui seront peut-être primées. Les récompenses iront à des nations étrangères. L’amnistie est réclamée par patriotisme autant que par les raisons d’apaisement qu’on invoque., deux fusils qui sont aussi à l’exposition ».
Et le bouclier d’argent du combat des Lapithes et des Centaures est récompensé (alors que son créateur est proscrit).
Le 30 juin 1878 le journal « la Lanterne » lui consacre un article dont voici un extrait :
« En 1874, tous les réfugiés établis à Vienne furent expulsés. Mais en 1876, la maison Klinkosch, ayant besoin d’un ouvrier exceptionnel pour ses travaux de l’exposition de Paris, appela Barré. Il revint à Vienne et cisela le grand bouclier d’argent déjà acheté par le gouvernement et qui figure à l’exposition. Après plus d’un an de séjour à Vienne, Barré vint à Londres, cisela pour la maison Purdey, d’Oxford Street. (Il s’agit de l’exposition universelle de 1878 qui se tenait à Paris et où tous les pays font des expositions. NDLR)
Voilà donc dans l’exposition autrichienne et dans l’exposition anglaise des œuvres qui seront peut-être primées. Les récompenses iront à des nations étrangères. L’amnistie est réclamée par patriotisme autant que par les raisons d’apaisement qu’on invoque., deux fusils qui sont aussi à l’exposition ».
Et le bouclier d’argent du combat des Lapithes et des Centaures est récompensé (alors que son créateur est proscrit).
En juin 1878, le conseil municipal de Trappes a demandé sa grâce, ainsi que des personnalités du monde de l’art ; il est amnistié deux mois plus tard. Il rentre en France et se domicilie à Paris, puis à Trappes. Il plaidait pour l’existence d’un monument aux Communards de Paris. Il déclarait alors dans le journal l’Attaque : « les peuples libres et fiers de leur affranchissement définitif viendront s’y donner une fraternelle étreinte, les nationalités auront disparu. »
Il a deux enfants : Louis Emile Aristide qui sera peintre et graveur reconnu et se fera appeler Aristide Barré fils (cette homonymie va entraîner des confusions dans leur postérité), et Angèle Antoinette qui, en se mariant, quittera Trappes.
Lui et son fils continueront à exposer leurs œuvres dans les salons de Paris et de Versailles et à obtenir des récompenses. La maison Purdey continue à le faire travailler et il reçoit des commandes de la ville de Paris. On trouve certaines de ces oeuvres au Musée de la Ville de Paris au Petit Palais.
Il sera conseiller municipal s’opposant fermement à Vincent Pluchet, maire aux sympathies royalistes et anti laïque de Trappes et le critique pour le manque d’humanisme de sa politique municipale. Il demandait, notamment, la création d’un lavoir municipal afin d’éviter aux femmes de devoir aller faire leurs lessives dans l’étang de Saint-Quentin et dénonçait l’usage privé d’un certain nombre de biens communaux par les fidèles du maire. Il présidera certaines réunions publiques, notamment lors de la candidature de Amédée Thalamas, de la concentration républicaine. Il fait accoler parfois à son nom les termes d’ancien proscrit.
Il signe alors quelques articles dans le journal "la Dépêche de Versailles" comme celui-ci :
" Nous espérons que, dimanche prochain, les électeurs républicains de Trappes feront tout leur devoir. Ils sont les maîtres de leur bulletin de vote et doivent agir selon leur conscience, négligeant les menaces patronales, dédaignant les pressions des patronages cléricaux, facteurs de servitude et qui, les uns et les autres marchent de pair pour faire des esclaves. Electeurs républicains, votez tous avec discipline pour des représentants de l’idée républicaine, la seule juste, la seule qui puisse vous libérer un jour de toute exploitation honteuse ! En dehors d’elle, tout n’est que duperie et mensonge. Apprenez au maire actuel, qui agit en maître, comme s’il était un despote nommé par le dernier des Napoléon, au lieu d’être le premier serviteur de la commune, que vous n’admettez pas qu’il livre à ses agents payés par nous, - et ce pour en faire ses créatures – des bâtiments, des fontaines, en somme des biens appartenant à vous tous et dont vous devriez, au moins, avoir la jouissance dans la juste mesure. Montrez-lui que, riches ou pauvres, nous sommes tous égaux en droit et que vous voulez votre part de soleil ; que les intérêts particuliers doivent disparaître devant les intérêts de tous. N’oubliez pas non plus qu’un conseiller municipal peut devenir un jour conseiller sénatorial et, qu’à ce titre aussi, vous ne devez pas nommer de réactionnaires. Les candidats dont les noms suivent s’engagent à poursuivre la réalisation des réformes nécessaires et à agir en véritables républicains. Ce sont les citoyens : Bongrain, père, ancien conseiller municipal ; Massé Pierre ; Laurent Alexis, fils.
Aristide Barré Conseiller municipal"
C’est l’époque où la France reste partagée entre trois courants de pensée (républicain, royaliste, bonapartiste traversés par un populisme et l’antisémitisme, notamment, avec l’affaire Dreyfus). C’est aussi l’époque où la France est traversée par le débat houleux de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Aristide Barré est du côté de la laïcité. Dans le même temps, un journal régional «la dépêche de Versailles », alors à gauche, publie régulièrement des articles écrits par un correspondant local trappiste qui ne signe pas. Ce correspondant, à la plume alerte et humoristique, écrit de nombreux articles sur la vie trappiste, son maire, son curé… C’est après la parution de l’un d’entre eux que se produit l’incident raconté ici par Aristide Barré lui-même. Le curé de Trappes accuse donc Barré d’être l’auteur de ces pamphlets. (Il reste que personne ne sait aujourd’hui qui était ce talentueux correspondant).
Il entretient des correspondances avec ses amis communards comme en témoigne certains courriers retrouvés et une lettre de Léo Frankel, membre de la Commune de Paris, de nationalité hongroise qui réussit, lui aussi à s’enfuir.
En 1908 il est nommé officier de l’Instruction Publique. Il meurt le 21 mai 1915 à Trappes.
En tout état de cause, on peut remarquer, au travers de sa correspondance, qu’il s’agissait d’un homme cultivé, s’exprimant particulièrement bien à l’écrit et qui a acquis une reconnaissance au niveau local puisqu’une rue porte son nom.
A la fin de sa vie, il n’a pas abandonné ses idéaux comme en témoigne le courrier à Maxime Vuillaume .
Lettre à Vuillaume
« Trappes (Seine-et-Oise) le 29 juin 1914
Mon Cher Ami,
Je viens de recevoir votre très aimable envoi du 7ème cahier où figurent les lettres de ce pauvre ami Vermersch que nous avons connu. J’ai lu ou plutôt dévoré le livre entier dont je venais de couper les feuilles.
L’atmosphère de cette époque douloureuse et tragique se trouve bien dépeinte dans ces lettres frémissantes à peine écrites au sortir de cette lutte où tant des nôtres y ont trouvé ou la mort ou l’exil.
Les lecteurs futurs dans un âge éloigné pourront s’étonner du ton de colère et d’exaspération qui règne entre toutes les lignes. Ils ne comprendront pas, comme nous, que nous sortions d’une lutte atroce et que les victimes elles-mêmes, avaient, mortes une allure horrible et conservaient encore un geste de menace – et de colère. Votre livre est vraiment complet et définitif ; il aura certainement le succès qu’il mérite près de ceux qui ont le souci de la vérité et de l’histoire non truquée.
Pour nous qui avons vécu à Londres, nous retrouvons bien dépeints les gestes qui se terminaient souvent par des coups. Hélas !
J’ai été vraiment surpris du peu de voix que Marcel Brossé obtenait à l’élection sénatoriale. Paris et ses délégations se comportent vraiment comme des imbéciles qui ne savent plus apprécier ceux qui servent mieux les traditions républicaines et socialistes et nous arrivons à avoir un Massard délégué à l’inauguration d’un monument à Victor Hugo. Hein, est-ce pitoyable de voir un individu semblable, une municipalité parisienne ?
Cela ne nous empêche pas de vieillir tous les jours un peu et les communards s’……. de plus en plus. A propos, savez-vous ce que sont devenus les Carrier que j’ai beaucoup connus et fréquentés à Londres. Un jour j’ai reçu de l’un d’eux une carte me félicitant de la rosette violette. Je n’ai plus l’adresse pour pouvoir répondre à la politesse. Ils vont croire que je les dédaigne – erreur !
Mon cher Vuillaume, je termine en vous adressant nos meilleurs souvenirs, de ma femme qui a été souffrante tout l’hiver, de mon fils qui travaille toujours sa gravure à l’eau forte et, chose amusante, il vient de recevoir une invitation à une soirée de l’Elysée. Mais, comme moi, il ne peut souffrir le saucisson de Lorraine, que nous devons à nos « unifiés » en partie, qui ont voté pour Vaillant. Ce qui vaut la jolie politique et de Briand et de toute la meute de la fédération des gauches.
A bientôt mon cher Ami, quand j’irai à Paris, je ferai un effort musculaire pour aller vous serrer la main car c’est toujours en courant que je vais à la ville Lumière, qui devient bien nébuleuse.
Je vous serre la main amicalement.
Aristide Barré
Sources : le Maitron, Archives départementales des Yvelines (presse départementale), Site Retronews (presse nationale) Gallica Bnf, site généalogique Généanet, ouvrage « la Commune de Paris 1871 » coordonné par Michel Cordillot, Mes cahiers rouges (souvenirs de la Commune) de Maxime Vuillaume, site web britannique Shooting Sportsman, web Paris-musées