Georgette Agutte

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Article Georgette Agutte
Naissance :
17 mai 1867
Mort :
06 septembre 1922
Métier :
Artiste peintre



Georgette Agutte naît le 17 mai 1867 à Paris, au sein d'une bourgeoisie aisée, attachée à l'éducation artistique. Cette année est également marquée par le décès de son père, Jean Georges Aguttes (1840-1867), peintre et ancien élève de Félix Barrias et de Camille Corot, qui n’a malheureusement pas le temps de transmettre son savoir artistique à sa fille. Sa mère, Marie Augustine, dite Maria Debladis (1844-1934), alors veuve, se remarie avec son beau-frère, Pierre-Nicolas Hervieu, lui-même veuf . Georgette grandit dans une famille recomposée, entourée de ses demi-frère et sœurs, dont elle restera proche toute sa vie.

Education et parcours

Très tôt, sa mère qui pratique le dessin et la tapisserie encourage Georgette à suivre une formation artistique, en commençant par le dessin et le piano. A ses vingt ans, Georgette commence à se former à la sculpture dans l’atelier de Louis Jean Désiré Schroeder (1828-1898), élève de Rude. Au début, elle s’adonne à la sculpture par loisir mais semble rapidement y voir plus qu’un simple passe-temps. Elle expose pour la première fois en 1887 au Salon des artistes français deux bustes en plâtre : un Portrait de M. H (Mr Hervieu ?) et le Portrait d’un enfant, dans un style encore très classique, reflet de son enseignement et de la société dans laquelle elle évolue. En 1888, elle rencontre Paul Flat, critique d’art, journaliste et éditeur du Journal de Delacroix. Ils se marient la même année et Paul Flat introduit Georgette à l’univers artistique parisien. Ces nouvelles fréquentations et lectures la poussent à découvrir une autre leçon artistique, basée sur le coloris et la spontanéité, très différente de celle de son maître Schroeder, qui l’inspireront plus tard et la conforteront dans sa vocation de peintre.

En 1893, elle aurait fréquenté l’atelier de Gustave Moreau à l’école des Beaux-Arts, grâce a l’appui de son ami Piot, un des premiers élèves inscrits. Elle serait donc la seule élève féminine de l’atelier, alors que l’accès aux Beaux-Arts pour les femmes n’est autorisé qu’en 1897. Toutefois, aucun dossier d’élève mentionnant Georgette Agutte n’a été retrouvé, signifiant peut-être qu’elle participait de manière libre aux cours de Moreau. Néanmoins, cette période marque une rupture dans la pratique de Georgette, puisqu’elle abandonne pour un temps la sculpture au profit de la peinture. De plus, s’imprégnant de l’enseignement du nouveau maitre et de l’influence de ses camarades artistes, elle rompt avec sa formation classique et manifeste dès lors une liberté d’esprit et une indépendance qui la suivront tout au long de sa carrière.

D’abord inspirée par les symbolistes et Corot, sa palette est sombre et ses sujets sont choisis parmi les paysages familiers : des bords de rivière et des allées d’arbres. Puis, elle s’orientera vers les pratiques nouvelles des postimpressionnistes, notamment pour leur travail innovant sur la couleur. Grâce au contact des autres élèves de l’atelier, formant le cœur de l’art moderne, avec qui elle échange constamment, elle entre dans un milieu artistique dynamique qui l’aidera dans sa future carrière. C’est alors qu’un personnage charismatique entre en scène, entraînant une période de grands changements pour la jeune artiste ; il s’agit de Marcel Sembat .

Buste en plâtre de Madame Hervieu, Georgette Agutte (1867-1922), Maison Agutte-Sembat, Bonnières-sur-Seine.

A cette époque, Marcel Sembat est journaliste actif, éditeur de La petite République Française, auteur de rubriques dans La Revue socialiste et La Lanterne, et politicien engagé, député socialiste de la circonscription des Grandes-Carrières, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, quartier populaire de la bohème artistique et littéraire. Après des études de droit, Sembat se dirige rapidement vers le journalisme et surtout la politique, domaine où il parvient à s’imposer grâce à ses talents d’orateur, son militantisme et ses prises de position en faveur de la modernité . Dès 1889, Marcel Sembat confesse dans son journal être « profondément épris de Mme Flat. » Cette dernière, dont l’adultère de son mari, Paul Flat, la pousse à se séparer de lui, demande le divorce en 1894, alors que la loi l’autorise seulement depuis 1884 . Marcel Sembat et Georgette Agutte concrétisent leur amour le 27 février 1897, ouvrant la voie à une histoire passionnelle. Le quotidien du couple est partagé entre leur vie à Paris, non loin de Montmartre, des escapades bucoliques à Bonnières-Sur-Seine et des séjours à l’étranger en raison des voyages d’affaires de Marcel Sembat .Ainsi, ils visitent ensemble certaines régions d’Italie, d’Allemagne, de Suisse, d’Angleterre, des Pays-Bas et même d’Egypte. De même, ils traversent plusieurs régions de France, et se prennent d’affection pour une en particulier, les Alpes et surtout Chamonix, où ils achètent un chalet, le Murger, vers 1920.

Ils forment un couple dynamique, enclin à l’activité sportive comme l’alpinisme et la randonnée, et moderne, à la fois acteurs et spectateurs des débats les plus actuels de leur époque sur le plan politique et artistique. Leur foyer voit passer des personnalités célèbres et influentes, comme Jean Jaurès, Henri Matisse et Paul Signac. Jamais Marcel et Georgette n’auront d’enfant. C’est sûrement pourquoi ils se sentent si proches de leurs neveux, Madeleine et Pierre Collart. Mais après 25 années de vie commune passionnée, les aléas de la vie viennent faire basculer leur idylle en destin funeste. Le 3 septembre 1922, alors que Marcel Sembat est en convalescence à Chamonix après une importante opération, il décède d’une hémorragie cérébrale dans les bras de sa femme. Le soir même, Georgette se suicide d’une balle dans la tête, après avoir fait part à son neveu des ses dernières volontés dans une lettre poignante, où elle déclare « 12 heures qu’il est parti, je suis en retard. » Le couple est enterré au cimetière de Bonnières-sur-Seine le 7 septembre 1922, lors d’obsèques auxquelles prend part une « foule immense » selon la presse de l’époque. Pendant longtemps, cette date sera commémorée par les compagnons socialistes de Sembat. Ce couple uni, moderne, indépendant, fidèle à ses convictions et ses choix artistiques, a marqué son temps.

Le mariage de Georgette Agutte avec Marcel Sembat en 1897 marque le début d’une période riche et couronnée de succès pour elle. Tandis que quelques années auparavant elle exposait sous le nom de Flat, son ancien mari, elle décide de signer ses œuvres de son nom de jeune fille, Aguttes, auquel elle retire le « s » final afin de se démarquer de son père, en déclarant « Pourquoi serais-je pluriel ? ». Artiste prolifique, elle est encouragée par tout son entourage familial, et en premier lieu par son mari, admiratif de sa passion, qu’il retranscrit fièrement dans son journal : « J’y refinissais la Sémantique de Bréal pendant que G. peignait en bateau sous le saule chevelu… », « Hier, vernissage des Indépendants. Gloire d’un G. dont les tableaux furent disputés par Signac et Matisse. », « Grand succès d’un G. ! Grand succès fibrociment ! Dieu que j’étais content.»[1] On estime sa production à 800 peintures environ sur une période de 25 ans avec une grande diversité de médias : des aquarelles, peintures et sculptures, en passant par les bijoux et la céramique. Elle travaille tantôt dans son atelier de leur maison parisienne du XVIIIe arrondissement, tantôt dans celui aménagé pour elle dans la maison familiale de Bonnières-sur-Seine, leur refuge tant apprécié, ou encore sur le motif lors de ses balades et voyages. Pour Georgette Agutte, l’art et surtout la peinture, n’est pas un simple passe-temps de femme mondaine, mais bien une réelle passion. Georgette Agutte n’a pas besoin de son art pour vivre, cependant son engagement est sérieux, comme en témoignent les nombreuses expositions auxquelles elle participe. En effet, elle n’hésite pas à confronter sa production à la critique de l’époque, en exposant dans les Salons parisiens du moment : Salon des Indépendants et Salon d’Automne, Salon des artistes Français et le Salon de la Société des peintres orientalistes français. Toutefois, elle décide assez tôt de rester fidèle aux Salons d’Automne et des Indépendants, choisissant alors consciemment le camp de la modernité. En tout, cinq expositions personnelles auront lieu dans les galeries parisiennes les plus en vue de l’époque  : Georges Petit, Druet et Bernheim Jeune . Chez George Petit en 1908, elle expose 148 aquarelles, bijoux et sculptures ; chez Eugène Druet en 1910, elle présente 62 huiles et 26 aquarelles dont la plupart ne sont toujours pas localisées ; chez Bernheim-Jeune en 1914, elle présente pour la première fois des œuvres sur fibrociment. Tout au long de sa carrière, Agutte connait un certain succès parmi les collectionneurs, artistes, critiques et marchands qu’elle fréquente. S’il est possible que ce soit en partie grâce à l’influence de son mari, il est certain que sa capacité à répondre au goût de l’époque, sans abandonner sa personnalité, y est pour beaucoup. Elle réalise quelques commandes publiques : des gouaches et huiles sur fibrociment ainsi qu’une sculpture commémorative de Jules Guesde pour la ville de Roubaix  ; et privée : un ensemble décoratif sur fibrociment pour la maison des Turot, à Auteuil.

Etre femme et artiste

Il est évident qu’être une femme artiste est un fait peu commun, même au début du XXe siècle. Les femmes célébrées dans le milieu de l’art à cette époque sont rares, comme éclipsées par les grandes figures masculines de l’avant-garde. En effet, les femmes pratiquant un art, que ce soit la peinture, la sculpture ou le dessin sont souvent victimes de raccourcis et de jugements : ces pratiques sont considérées comme des passe-temps, et en faire sa carrière est assez mal perçu par la société de l’époque. Toutefois, ces commentaires misogynes ne sauraient s'adresser à Georgette Agutte, tant son parcours et ses choix sont empreints de personnalité. Quelques témoignages, plus ou moins bienveillants, ont bien tenté de la faire passer pour une épouse docile et effacée, ou bien pour une élève passive d’Henri Matisse sans personnalité artistique, mais il n’en est rien. Tout d’abord, son divorce d’avec Paul Flat en 1894 témoigne déjà de son anticonformisme et de sa modernité. Ce choix reste à l’époque un acte scandaleux allant à l’encontre de sa famille et des mœurs de la société. Puis, dès 1893, elle est la première femme à fréquenter l’atelier de Gustave Moreau, véritable tremplin pour l’art du XXème, tandis que l’école des Beaux-Arts n’ouvre aux femmes qu’en 1897. Elle n’hésite pas non plus à choisir une typologie de sujets masculins : paysages et nus féminins, tout comme le font quelques autres femmes peintres de son époque telles que Suzanne Valadon, Emilie Charmy, ou Jacqueline Marval. Apollinaire le remarque d’ailleurs bien , lors d’une exposition en 1912 consacrées aux ‘’peintresses’’ : « Jamais avant cet hiver, on n’avait vu, ni à Paris ni ailleurs, tant de peintres femmes prouver qu’elles ne cèdent point aux hommes en tant qu’artistes. Ce que les femmes apportent dans l’art, ce ne sont point des nouveautés techniques mais plutôt le goût, l’instinct et comme une vision neuve et pleine d’allégresse de l’univers.» Elle ne se décourage pas malgré les fréquentes critiques sexistes : « un tempérament plus personnel que ne le sont d’ordinaire ceux de la moyenne des femmes artistes », « une délicatesse et un esprit très nettement féminin » ou encore « vulgarités de couleurs et banalités de formes » . Malgré cela, la détermination de l’artiste ne faiblit pas, attestant bien de sa force de caractère, et elle continue d’exposer très régulièrement dans les salons parisiens en vogue de la Belle Époque. Elle joue un rôle notable dans l’ouverture d’esprit de son mari, Marcel Sembat, à l’art contemporain, et ce dernier ne se privait pas de le rappeler «Magette m’a sauvé et pour l’atteindre je me suis élevé hors de ce fourmillement dévorant, peu à peu, ma vie s’est rapaisée. Mon esprit a recommencé de luire, inobservé par les poussières »[2] . Bien qu’il s’intéresse tôt à l’art, il semble témoigner d’une certaine réticence à l’art moderne, réticence rapidement balayée au contact de Georgette Agutte. Elle prend également part à la vie caritative du quartier des Grandes-Carrières où elle vit. Elle dirige la soupe populaire rue Marcadet, fonde un ouvroir rue Lamarck et préside le cercle laïque des jeunes filles rue Coysevox. De plus elle appartient à la petite minorité de femmes membres de la SFIO , ce qui témoigne bien de son engagement social et politique. Enfin, bien que son suicide soit perçu par certains comme un sacrifice, les contemporains restent bouleversés par le courage dont Georgette Agutte fait preuve, souligné par Paul Valéry « C’est beau.[3] Cette femme a été magnifique». Georgette Agutte est donc une femme moderne de caractère, dont la détermination sans faille fait ses preuves aussi bien dans sa vie professionnelle que personnelle.

Liste bibliographique :

-              Sembat Marcel, Les Cahiers noirs : journal 1905-1922, Viviane Hamy, 2007

-              Sembat, Marcel, La Victoire en déroute, Editions du progrès civique, 1925

-              Sembat, Marcel, Faites un Roi sinon Faites la Paix, Eugène Figuière et Cie Editeurs, 1913

-              Entre Jaurès et Matisse : Marcel Sembat et Georgette Agutte à la croisée des avant-gardes, Somogy éditions d’art – Archives nationales, 2008

-              Lefebvre, Denis, Marcel Sembat : Franc-maçonnerie, art et socialisme à la Belle Epoque, Editions Dervy, 2017

-              Lefebvre, Denis, Marcel Sembat : Socialisme et franc-maçon, Bruno Leprince Editeur, 1995

-              Lefebvre, Denis, Le Socialisme maçonnique avant 1914, Editions Maçonnique de France, 2001

-              Marcel Sembat, textes choisis, Editions Maçonnique de France, 2003

-              Lebey, André, Disques et Pellicules, Librairie Valois, 1929

-              Matisse-Sembat : correspondance, une amitié artistique, 1904-1922, La Bibliothèque des arts, 2004

-              Maurice Dommanget, La Chevalerie française du travail, Edition Rencontre, 1967

  1. Sembat Marcel, Les Cahiers noirs : journal 1905-1922, Viviane Hamy, 2007
  2. Sembat Marcel, Les Cahiers noirs : journal 1905-1922, Viviane Hamy, 2007
  3. Sembat Marcel, Les Cahiers noirs : journal 1905-1922, Viviane Hamy, 2007, p.27