TRAPPES, LES CHASSES ROYALES

De Le Lab des Archives - Yvelines
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Le bon roi Henri IV - c’est bien connu - déclarait qu’il souhaitait que chaque laboureur de France puisse mettre une poule au pot le dimanche. Il se serait bien gardé de parler alors de gigue de chevreuil ou de faisan. En effet, ces mets issus de la chasse, n’étaient réservés qu’aux privilégiés.


Sur un vaste territoire de la moitié de la France s’étendant de la Picardie à une partie de la Touraine, en passant par la Normandie, le privilège de la chasse appartenait aux rois de France. Cette chasse se pratiquait essentiellement à courre et nécessitait un grand équipage de chevaux et de chiens et un nombreux personnel.

Ce même Henri IV n’a pas manqué de le rappeler dans un édit de juillet 1607, dans lequel sont énumérés tous ces lieux et les sanctions qui frappaient les contrevenants ; Cela allait d’une amende de 1.500 livres pour les seigneurs et gentilshommes aux galères pour les roturiers. Avec une grande générosité, il accorde des permissions à certains grands seigneurs en guise de gratifications pour loyaux services certainement, en quelque sorte ses courtisans.


Apparemment nos rois et leurs enfants ne se privaient pas de ce droit. Victor Belot dans son ouvrage « Trappes d’hier à aujourd’hui » note que Louis X le Hutin fit indemniser Jean POUPARD de 40 sous, le 24 janvier 1307 pour des animaux domestiques qu’un chien de son fils avait étranglés.  Il arrive à ces messieurs de poursuivre le gibier d’une paroisse à l’autre, traversant les champs et les forêts.


Il semble que c’est à Henri IV que l’on devrait les allées qui y ont été tracées au bois de Trappes, qu’il ait couché au château comme le firent ses prédécesseurs, usant du statut de gite royal attribué à notre commune ; ensuite son fils et successeur Louis XIII acquit le domaine de Versailles pour y installer son pavillon de chasse.


Mais c’est sous le règne de Louis XIV que les chasses royales prirent une nouvelle importance car, outre le parc d’agrément autour de son palais, outre les réseaux d’étangs et rigoles qui transformèrent la géographie de la région, il fit aménager sur 86 km2 autour de Versailles, le Grand Parc de chasse englobant complétement 8 villages et partiellement une douzaine d’autres dont Trappes. Il fit entourer le parc d’un mur destiné à éviter au gibier d’en sortir. On sait que le mur, à Trappes mesurait 3 mètres 24 de hauteur et 48 centimètres d’épaisseur, qu’il était fait de pierres de la région et crépi de chaux vive. Il s’alignait depuis la limite de Montigny le Bretonneux jusqu’à l’angle de la Route de Dreux et de la voie R12, remontait jusqu’au bout de cette voie en limite de Bois-d’Arcy où se trouvait une autre porte avec pavillon. A une bonne distance le mur entourait donc la zone de l’étang de Saint-Quentin.


C’est donc bien une réserve de chasse que le Roi Soleil s’est ainsi constituée.  Afin de laisser circuler les habitants et les véhicules, il fallait créer des portes dans ce mur et y installer des gardiens servant donc aussi de portiers aux allées et venues des particuliers et des diligences.  A ces portes on adjoignait des locaux liés à la chasse elle-même et un local pour accueillir le roi lors de ses haltes avec ses équipages.

Celle de Trappes a donné son nom au lieudit qui se trouve sur la route nationale (Avenue Paul Vaillant-Couturier) avant le carrefour de la Fourche, le pavillon, reconstruit au temps de Louis XVI, fut détruit par les bombardements alliés de 1944.


Cette réserve n’empêchait pas les rois, leur compagnie et les équipages d’aller chasser hors des murs. A Trappes la forêt était d’ailleurs aussi hors de ces murs ; mais la chasse ne se limitait par forcément aux lieux boisés.

Les services mis à la disposition de leurs majestés constituaient l’équivalent d’un de nos ministères actuels parmi les plus importants dont les tâches allèrent jusqu’à l’entretien et l’aménagement de forêts (ce qui ne les empêchait pas de bénéficier également des rendements de l’exploitation forestière)

Le gibier royal de choix était le cerf et sa présence ne manquait pas dans les environs.

En ce qui concerne Louis XIV nous avons peu d’éléments sur ses chasses à Trappes même.

Mais nous avons une anecdote sur son successeur racontée par le Postillon Nicolas Lourdaut qui a ramené à Versailles, Louis XV et Monsieur de Beauvau, le capitaine des Gardes, texte que l’on trouve dans le Mercure de France de juin 1767. Le roi et ce grand serviteur s’étaient perdus sur les terres de Trappes après avoir été déroutés par un cerf qui leur a fait perdre leur suite.


Nous avons la chance de bénéficier de l’étude menée par Laurent Condamy et Julien Lacaze, intitulée « Pour les plaisirs du Roi, les métamorphoses de la Porte de Trappes ». Ces chercheurs ont retrouvé les traces de la présence de Louis XVI en ce lieu et décrit avec une grande précision les décisions prises à son sujet entre 1774 et 1787, les travaux qui y ont été réalisés, telles la restauration importante du pavillon du Suisse permettant au roi d’y avoir aussi une chambre, la démolition du pavillon de Mansart servant surtout de salle à manger et la reconstruction du nouveau  , les plans de ces travaux, les acquisitions de parcelles de terre privées pour permettre d’installer des abris à gibiers …  Ainsi que des incidents survenus au niveau de la porte elle-même avec les postillons qui la trouvaient trop étroite ou pas assez haute. Cet important travail est accessible en ligne sur le site de la Bibliothèque Persée.

Des éléments trouvés par les deux historiens, il ressort que la Porte de Trappes était intéressante sur au moins deux points.

Le premier est qu’elle était située sur la route menant à Rambouillet dont le domaine forestier qui, appartenait d’abord au Duc de Rambouillet, fut vendu à Louis XVI en 1783. Trappes était donc un gite d’étape intéressant.

Le second était la présence de l’étang qui attirait à la fois les mammifères et les gibiers d’eau ; ces derniers étaient l’objet d’une chasse particulière appelée « chasse du vol » ; bien que celle-ci ne fût pas particulièrement la préférée du roi serrurier, elle avait fait l’objet d’une coutume qui se perpétuait encore et qui consistait en une sorte de cérémonie de lancement se tenant à Trappes, avec repas au pavillon… C’est à l’occasion d’une de ces cérémonies que le responsable des chasses, Mr de Tarlé se soucia de l’état de délabrement des bâtiments de la Porte de Trappes et programma des travaux. En fait, cette cérémonie n’eut plus jamais lieu une fois tous les travaux terminés en 1787.


Cette présence du roi et de ses équipages ne fut pas sans inconvénients pour les habitants de Trappes, notamment pour l’approvisionnement en eau potable pour les habitants et leurs animaux. En effet il est noté que la petite commune n’était dotée que d’un seul puits et que l’usage qu’en faisaient tous ces gens et leurs animaux contraignait les Trappistes à aller se procurer de l’eau soit à Elancourt, soit à se contenter de l’eau de l’étang. Le problème fut en partie résolu par l’installation d’une citerne à la Porte de Trappes.


En même temps il est dit que les finances du royaume l’invitèrent à en réduire quelque peu les dépenses bien que dans les faits ses conseillers eurent du mal à concilier les exigences royales avec cette réalité.

Et la Révolution advint… Sur les terres trappistes la chasse imposait tant de contraintes et des règlements aux laboureurs, notamment des types de cultures au profit de la prolifération de gibier (dans les garennes notamment) qu’elle fut un des objets importants de leurs doléances.

Louis XVI fut contraint dans les mois qui suivirent la Prise de la Bastille de quitter Versailles pour Paris.

EPILOGUE :

Après l’abolition des privilèges de l’aristocratie, dont celle du roi, les forêts connurent des destinées plus ou moins différentes, celle de Trappes (qui appartenait à l’Abbaye de Port-Royal) fit partie des biens qui furent mis en vente après la Révolution avec quelques revers puisqu’ils furent plus ou moins lotis et eurent plusieurs propriétaires. En effet, elle fut en partie défrichée, puis le reste fut très mal entretenu et morcelé jusqu’à ce qu’elle entre dans le giron de l’ONF dans les années 1990.


Quoi que l’on pense de la chasse sous toutes ses formes, cette passion a façonné les forêts de nos régions. C’est à elle que nous devons notamment les grandes allées tracées de manière géométrique, bordée de fossés, et se recoupant en étoile où nous nous promenons maintenant, et à partir d’une certaine époque au moins celle de Colbert, la préoccupation d’un entretien et d’une gestion de la forêt qui allait au-delà de la chasse.  

C’est aussi à elle que de grandes forêts se sont trouvées exclues d’activités industrielles ou agricoles, d’habitations, donc des pollutions liées ces activités humaines. Leur préservation fait désormais davantage partie des politiques de protection des biodiversités régionales à l’exception de réserves de chasse encore existantes notamment en forêt de Rambouillet et de Chambord. Il n’empêche que pour un grand nombre, elles sont entrées dans le domaine public et constituent des poumons verts que les habitants des villes apprécient. Il nous appartient de veiller à leur protection, à savoir les exploiter au mieux des intérêts des populations et de la biodiversité.

Peut-être que sans cette passion des aristocrates pour la chasse dont l’activité fut de plus en plus organisée, ces lieux auraient fini par être défrichés et nous les trouverions à l’image du reste du paysage avec des installations humaines (villages ou hameaux) et parsemés de champs exploités, de hameaux, de prairies, de vergers. Qui sait. ?

Enfin, on peut ajouter que l’abolition des privilèges a démocratisé et réglementé la pratique de la chasse. A la fin du 19ème siècle, les compagnies de train affrétaient des trains spéciaux de chasseurs depuis Paris, les déposant le dimanche, dans toutes les gares des communes situées dans la campagne (à partir de Saint-Cyr pour notre réseau), les reprenant le soir.