Institution Bertrand

Basée à Versailles, l’Institution Bertrand est la première école professionnelle du département de Seine-et-Oise. Née d’une initiative privée portée par Édouard-Eugène Bertrand et son père Jean, qui en devinrent les directeurs successifs, l’établissement marqua durablement le paysage versaillais de la Belle Époque avant de disparaître progressivement, laissant le lycée professionnel Jules Ferry, qui en reprit le modèle de fonctionnement, lui ravir sa place.
Histoire
Les origines

C’est dans cet esprit de rénovation de l’enseignement pratique que fut fondée, en 1861, l’Institution privée et laïque Bertrand. Son fondateur, Édouard-Eugène Bertrand, fils d’un instituteur versaillais, conçoit alors l’idée de rendre à la ville de Versailles une école primaire supérieure, supprimée par la loi Falloux de 1850.
Il ouvre modestement son établissement le 1er octobre 1860, dans un local de la rue Saint-Simon. L’école ne compte d’abord que trois élèves, mais leur nombre augmente rapidement. Face à l’exiguïté des locaux, Bertrand transfère bientôt l’établissement dans le bâtiment de la même rue qu’occupait auparavant l’École secondaire de jeunes filles. Il y annexe un pensionnat et développe un enseignement axé sur les applications pratiques, fidèle à l’esprit des lois scolaires de 1833.
Inspiré par les idées pédagogiques de Joseph Pompe et d’Édouard Laboulaye, Bertrand défend une méthode fondée sur l’observation, l’expérimentation et la pratique manuelle, convaincu que l’œil et la main sont aussi essentiels à la formation que l’intelligence.
Sous sa direction, l’établissement, désormais connu sous le nom d’Institution Bertrand connaît un rapide essor et acquiert une solide réputation dans la région versaillaise. Malgré plusieurs agrandissements, le local de la rue de Paris devient vite insuffisant. En 1874, l’école s’installe au 52, avenue de Saint-Cloud, dans un immeuble appartenant à la famille du fondateur.
L’établissement avait pour objectif déclaré de former des ouvriers, employés et techniciens compétents dans les domaines de l’industrie, du commerce et de l’agriculture. Il disposait pour cela de vastes ateliers, véritables vitrines de l’institution, régulièrement ouverts au public afin de valoriser les savoir-faire des élèves et la modernité de l’enseignement dispensé.
Une école professionnelle réputée
Un journaliste du Petit Versailles écrivait le 2 août 1885 :
« À l’institution Bertrand : on n’y fait pas de latin, mais on y forme des industriels qui feraient plus que des bacheliers pour le relèvement de notre pays. »
L’école préparait alors aux certificats d’études primaires élémentaires et primaires supérieures, aux brevets d’instituteur et aux écoles normales, ainsi qu’aux bourses de l’enseignement primaire supérieur. Elle orientait également ses élèves vers les écoles des Arts et Métiers, l’Institut industriel du Nord, l’École d’horticulture de Versailles, l’École des hautes études commerciales, ainsi que vers les carrières du commerce, les examens d’agents-voyers, et les emplois de piqueur ou de conducteur des Ponts et Chaussées, ou encore de dessinateur dans les compagnies de chemin de fer et les services des Postes et Télégraphes.
L’Institution Bertrand connut un vif succès avant la Première Guerre mondiale. Elle remporta de nombreuses distinctions lors des expositions, notamment une médaille de bronze à l’Exposition des Arts industriels de 1886, et des médailles d’argent aux Expositions universelles de 1889 et de 1900. Les meilleurs élèves poursuivaient leurs études dans les écoles normales ou à la très réputée École des Arts et Métiers de Châlons.
L’École était administrée par un conseil d’administration où siégeaient plusieurs personnalités libérales de premier plan à Versailles, parmi les plus aguerries aux questions d’éducation, telles qu’Édouard Laboulaye, inspirateur de l’École libre des sciences politiques de Paris. Les cérémonies de remise des diplômes, les communiqués réguliers publiés dans la presse, ainsi que l’invitation de figures éminentes lors des rentrées — comme le premier prix Nobel de la paix, Frédéric Passy — témoignent des efforts constants de l’institution pour entretenir une image positive dans une ville dominée par des courants conservateurs, où l’enseignement professionnel souffrait traditionnellement d’une réputation médiocre.
L'antichambre du lycée professionnel Jules Ferry à Versailles
Nommé directeur en 1901, l’ancien professeur de sciences à l’École normale Vincent Caviale s’attacha, durant six années, à remettre l’Institution Bertrand au premier plan après « des années difficiles », tant sur le plan financier que sur celui du recrutement, comme le soulignait la presse. Attaché aux idéaux républicains, Caviale voyait dans l’enseignement professionnel un levier d’émancipation sociale et de modernisation du pays. Radical-socialiste, il considérait que la formation technique devait bénéficier du même cadre laïque et public que l’enseignement général. C’est la raison pour laquelle il appuya la création d’un lycée professionnel public à Versailles.
Son objectif initial n’était pas de remettre en cause l’œuvre de l’Institution Bertrand — dont les ressources financières restaient limitées —, mais d’en transposer l’esprit dans une structure relevant de l’État, capable d’en assurer la pérennité et la diffusion.
En 1907, il prit la direction du nouveau lycée professionnel Jules Ferry, entraînant dans son sillage plusieurs cadres de l’École Bertrand vers le nouvel établissement. Vincent Caviale, aidé par son épouse Cécile Suzanne (née Capéroni), soutint activement la création de ce premier établissement public professionnel de l’Ouest parisien. Les symboles de rupture avec le modèle éducatif de 1905, avant la séparation de l’Église et de l'Etat étaient forts : le lycée s’installa dans les bâtiments de l’ancien séminaire, rue de Satory (actuel rue du Maréchal Joffre), et prit le nom de Jules Ferry, figure emblématique de la laïcité et des réformes scolaires républicaines. Malheureusement, Caviale mourut peu de temps après, le 25 juillet 1908, laissant le soin à sa femme de réaliser la transition avec le nouveau directeur.
L’Institution Bertrand ne résista pas longtemps à l’ascension du lycée Jules Ferry. Elle déclina après la Première Guerre mondiale et tenta, en 1924, une mutation avec l’installation d’une école d’apprentissage dans ses locaux, avant de cesser définitivement son activité.
Liste des directeurs
- BERTRAND, Édouard-Eugène [1861-1885], enseignant et promoteur de plusieurs écoles à Versailles dont l'école de jeune fille de la rue de Montreuil, fondateur de l’École professionnel qui porte son nom. Après son décès dans des conditions dramatiques à Dieppe, le 30 août 1885, son père récupère officiellement la direction de l'Institution Bertrand.
- BERTRAND, Jean Michel Eugène [1885-1887]. Il devient directeur à la mort de son fils. Cette fonction est plutôt honorifique car dans les faits, c'est son sous-directeur M. Lenoir qui assure la direction.
- LENOIR, Chrisostome [1885-fin sept. 1889], officier d'instruction publique et adjoint au maire de Versailles.
- LAGRANGE, Jean [octobre 1889-fin 1898]
- PESCAIRE, Charles Adrien Aristide [janvier 1899-fin 1901?]
- CAVIALE, Vincent (1901-1907). Caviale est également président de la Société d'enseignement populaire et de la Ligue auvergnate versaillaise. Il quittera l'institution en 1908 pour prendre la tête du nouveau Lycée Jules Ferry, rue de Satory (actuelle rue du Maréchal Joffre).
- QUENARDEL, Pierre Florent Célestin [1908-1912]. Directeur honoraire d’École normale ; ancien membre du Conseil supérieur de l'Instruction publique. Il décède le 15 décembre 1912 à Versailles.
- BOUTROIS [1914-1918]. Inspecteur honoraire de l'Enseignement primaire. Officier de l'Instruction publique, titulaire de la médaille d'Or de la Mutualité.
- VAISSIÈRE [1919]
- VIEILLOT [1920-1923]
Sources
- Almanach de Versailles de 1911, p. 48 (lien)
- Nécrologie d’Édouard-Eugène Bertrand dans l'Almanach de Versailles de 1886, p.14 (lien)
- Nécrologie de Vincent Caviale dans l'Almanach de Versailles de 1909, p. 109 (lien)
- Nécrologie de Pierre Florent Célestin Quenardel dans l'Almanach de Versailles de 1914, p.135 (lien)
- Publicité sur l'institution, Almanach de Versailles de 1902, p. 43 (lien)
- Remise des prix de 1875 (Arch. dép. Yvelines : Br 2729)
- Succession à la direction suite à la mort accidentelle d’Édouard-Eugène Bertrand, voir le journal Le Postillon du 12 septembre, p. 4.
